Chapitre III
La Maison Halyn était si bien cachée au milieu des arbres que Mikhail et ses Gardes faillirent la dépasser sans réaliser qu’ils étaient arrivés à destination. Seule une volute de fumée s’élevant au-dessus des frondaisons indiquait une habitation, et ce furent les yeux perçants de Daryll qui l’aperçurent. À vingt-trois ans, c’était le plus jeune des deux compagnons de Mikhail, et d’intelligence la plus vive, toujours prêt à plaisanter et pas le moins du monde impressionné par le rang de Mikhail. Mathias, l’autre Garde, approchait de la quarantaine, et était de nature calme et posée. Mikhail le connaissait depuis son enfance, car il était originaire du Domaine d’Alton. Il avait en eux une confiance absolue, et leur présence le rassurait, car le malaise qu’il avait commencé de ressentir en route empirait à mesure qu’ils approchaient de leur but.
Ils se frayèrent avec difficulté un chemin à travers les arbres, car le sentier était encombré de branches mortes, bois qui aurait dû être ramassé et être mis à sécher pour l’hiver approchant. Quand ils émergèrent enfin devant l’écurie, Mikhail fronça tes sourcils, saisi d’un désespoir muet. Duncan, le vieillard que Mikhail se rappelait sa précédente visite, émergea d’une bâtisse branlante, alerté par le pas de leurs chevaux. Une odeur aigre de foin pourri flottait partout. Entre autres signes de délabrement, des bardeaux manquaient au toit, et il devait pleuvoir à l’intérieur. Une auge était couchée sur le flanc, et l’autre pleine d’eau verdâtre qui croupissait depuis plusieurs jours.
Mikhail voyait maintenant le toit et l’étage supérieur de la Maison Halyn, bien qu’une haute haie lui en cachât de bas, et il fut plus qu’un peu choqué. Les fenêtres du haut n’avaient pas de vitres, remplacées par des planches en certains endroits, laissées béantes ailleurs. Le toit avait perdu des tuiles, et une cheminée penchait dangereusement, menaçant de s’écrouler.
Duncan regardait les trois hommes comme des apparitions. Il avait beaucoup vieilli en quatre ans, et beaucoup maigri également. Ses vêtements étaient usés, et le cuir de ses bottes si mince qu’on voyait une chaussette à un bout. Ses cheveux crasseux, feutrés, collaient à son crâne, et il avait les dents gâtées.
Avant que Mikhail ait eu le temps de dire un mot, le vent tourna et une odeur de soufre le frappa aux narines. L’odeur chaude et âcre venait de derrière la maison proprement dite. Il lui fallut une minute pour l’identifier. Il ne savait pas qu’il y avait une source chaude dans les parages.
— Salut, Duncan. Comment vas-tu ? commença-t-il, d’un ton plus joyeux que son humeur.
— Bienvenue, vai Dom. Aussi bien que possible.
Puis il hésita, et fixa le sol, remuant les pieds avec embarras.
— Es-tu attendu ? dit-il d’une voix bizarrement caquetante. La dernière fois, tu ne l’étais pas.
— Oui, je suis attendu.
Et si Priscilla avait changé d’avis et n’avait prévenu personne ? Et s’il avait appris à tester le laran et fait tout ce voyage pour rien ? Quelques jours plus tôt, Régis Hastur l’avait assuré que tout était arrangé, mais il avait pu se passer quelque chose. Non, on l’aurait prévenu.
— Mestra Emelda ne m’a pas informé, marmonna Duncan d’un ton hargneux en frictionnant ses mains noueuses. Il n’y a pas de place pour tous ces chevaux. Il n’y a pas de fourrage.
Ignorant ces paroles inhospitalières, Mikhail démonta. Il était fatigué et affamé, et il commençait à être à bout. La puanteur de l’écurie le choquait, et l’étrangeté de l’endroit l’angoissait. Il ne savait pas ce qui se passait, mais il était bien décidé à tirer cela au clair immédiatement.
— Qui est Mestra Emelda ?
Il n’avait jamais entendu parler de cette femme, mais le ton de Duncan le mit mal à l’aise.
— Mestra Emelda, répéta le vieillard comme si cela expliquait tout.
Daryll démonta et prit les rênes de Fonceur, car Duncan paraissait décidé à ne rien faire.
— Je m’occupe des chevaux, Dom Mikhail. Nous avons assez de fourrage pour ce soir – mais à en juger par l’odeur, il ne doit pas y avoir un brin de paille sèche pour les litières. Pouah !
Il fronça le nez en faisant la grimace.
— Demain, j’irai en commander au village que nous avons traversé à cinq miles d’ici.
— Demain ! s’écria Duncan, les regardant d’un air soupçonneux. Mais vous n’allez pas rester ! Elle ne sera pas contente !
— Bien sûr que mes hommes vont rester, dit sèchement Mikhail, exaspéré.
— Non, ils ne resteront pas, gronda le vieillard, l’air maintenant hostile.
Le malaise qui tourmentait Mikhail à mesure qu’il approchait de la Maison Halyn explosa en frayeur, qu’il refoula vivement, et il observa Duncan de plus près. L’homme qu’il se rappelait était grognon, mais jamais grossier. Et il était intelligent et propre de sa personne. L’homme qu’il avait devant lui était un autre – maussade, stupide et sale. Et maintenant que Mikhail était assez près, ses yeux lui semblèrent vitreux.
Mathias avait démonté et marchait vers l’écurie, les épaules raides, comme s’attendant au pire. Il disparut à l’intérieur, et Mikhail entendit un juron. Le Garde ressortit quelques instants plus tard, son visage généralement placide congestionné de rage.
— Ce n’est pas une façon de traiter des bêtes de race ! tonitrua-t-il, l’air prêt à boxer Duncan.
Mathias avait grandi avec les chevaux, qui faisaient la réputation du Domaine d’Alton, et il avait pour ces animaux une passion que la plupart des hommes réservaient aux femmes. Son visage, généralement aimable, exprimait l’indignation. La situation de l’écurie devait être encore pire que ne le supposait Mikhail.
— Que veux-tu dire, Mathias ?
— Je n’ai jeté qu’un coup d’œil, mais ça m’a suffi ! Certains animaux sont dans des ornières jusqu’aux jarrets, et les stalles sont dégoûtantes. Je n’ai jamais rien vu de pareil.
— Je n’ai pas le temps de m’occuper de ces bêtes, geignit Duncan, l’air un peu honteux. J’arrive tout juste à casser le bois pour le feu et…
— Ça va être quelque chose, de nettoyer ces écuries, l’interrompit Mathias. Et il faudra réparer le toit. L’état de cette bâtisse, c’est honteux !
Mikhail ne put que l’approuver, en espérant que la maison était en meilleur état. Il avait passé assez de temps à Armida pour connaître les tenants et les aboutissants d’une bonne gestion, et il s’étonna d’en avoir tant appris sans s’en apercevoir. Il avait nettoyé les écuries, étrillé les chevaux, veillé des nuits entières les juments prêtes à pouliner, dressé ses propres étalons, soigné des coliques et autres maladies équines. Mais les écuries d’Armida étaient bien tenues – Dom Gabriel Alton y veillait – et les chevaux bien traités. La vue des pauvres occupants de l’écurie lui fit mal au cœur.
Il y avait encore une heure de jour, et il éprouvait maintenant une immense répugnance à entrer dans la Maison Halyn. C’était une étrange sensation, une sorte de picotement, une impression de froid, qui n’avait rien à voir avec la température qui s’était rafraîchie. Hochant la tête, il se tourna vers Mathias et Daryll.
— Voyons ce que nous pouvons faire pour rendre cet endroit vivable avant la nuit.
Les deux Gardes se regardèrent. C’était une chose que Mikhail participe aux corvées sur la route, mais c’en était une autre maintenant, signifiait ce regard. Normalement, ils n’auraient pas non plus été réduits au rôle de palefreniers, car il y avait toujours des lads et des jeunes gens apprenant le métier. Ils étaient gênés, cherchant à mettre en balance la dignité de Mikhail et la nécessité de mettre un peu d’ordre.
Mikhail n’attendit pas leur accord, et entra dans la sombre bâtisse humide. Il se félicita de n’avoir rien dans l’estomac, car l’odeur lui souleva le cœur. Entrant dans la stalle la plus proche, il longea son misérable occupant, prit sa bride au crochet, la lui passa à l’encolure et le fit sortir à reculons.
L’animal était trop faible pour opposer de la résistance. Il n’avait pas été ferré depuis longtemps, et la corne des sabots avait poussé, de sorte que le pauvre animal était panard. Sa peau pendait toute flasque sur ses côtes, et il était apathique. Mikhail reconnut le cheval que Vincent montait quatre ans plus tôt, bel animal qui méritait un meilleur traitement. Mikhail tourna lentement autour, puis le fit sortir de l’écurie. Il attacha la bride à la barrière, et lui donna une tape sur l’encolure. Le cheval fixa sur lui des yeux énormes, puis passa nerveusement d’un pied sur l’autre, comme s’il avait mal aux jambes.
— L’un de vous peut lui rogner les sabots ? Je n’ai jamais eu le coup de main.
Mathias émit un grognement et alla prendre un sac de cuir dans ses fontes. Quelques instants plus tard, sa main calleuse tenait une sorte de faucille.
— J’emmène toujours ça – on ne sait jamais quand on en aura besoin.
Puis il se baissa, prit le premier sabot et commença à couper la corne.
Daryll avait suivi l’exemple de Mikhail et sortait maintenant un beau petit poulain. En quelques minutes, ils eurent sorti toutes les bêtes, et Mathias rognait les sabots avec ardeur. Il jurait en travaillant, calmait les chevaux de la voix, mais ils étaient tous trop faibles pour lui donner du fil à retordre. Ils étaient six en tout, aucun en meilleure forme que le premier. Duncan se contentait de regarder, suivant leurs mouvements d’un œil morne.
Mikhail et Daryll trouvèrent des pelles et des râteaux et entreprirent d’évacuer le plus gros des ordures. L’odeur d’ammoniaque était suffocante. La paille pourrie était pleine de vermine, vers de terre pour la plupart, mais il y avait aussi des parasites. Et ils dérangèrent plusieurs familles de rats qui détalèrent dans le noir.
C’était un travail éreintant, sale et puant, mais Mikhail s’aperçut qu’il l’aidait à dissiper le sentiment de rage et d’impuissance qui s’était emparé de lui. Il y avait des stalles inutilisées depuis des années, et où la corne trop longue des sabots n’avait pas creusé d’ornières. En fait, elles étaient assez propres et n’avaient besoin que d’un rapide coup de balai. Daryll grimpa dans le grenier et y trouva une balle de paille pas encore moisie, qu’il étala parcimonieusement.
— Je comprends la fureur de ce bon vieux Mathy. Ce sont de bonnes bêtes, et on n’a pas le droit de les traiter comme ça, dit Daryll.
Puis, levant les yeux vers le plafond, il ajouta :
— Le toit laissera passer la pluie si on n’y met pas bon ordre.
— Je sais, dit Mikhail. Je n’ai jamais rien vu de pareil. Quelle horreur !
— J’irai chercher de la paille fraîche dès l’aube, et je verrai si je peux trouver un couvreur pour réparer le toit. Enfin… – il fit une pause pour ordonner ses idées – … si nous restons ici. Nous restons ?
— Nous n’avons pas l’air bienvenus, hein ?
— Non, s’il faut en juger sur ce vieux schnock. Regarde ! Voilà de la pommade. Exactement ce qu’il faut pour les ulcères des chevaux !
— Parfait. Il faut encore nettoyer l’auge, car je ne crois pas que cette eau sale leur ferait grand bien. Je suppose que le vieux Duncan leur donnait de l’eau dans des seaux, parce qu’ils sont à moitié morts de faim mais pas déshydratés. Apporte la pommade à Mathias, s’il te plaît. Et pendant ce temps, je vais voir s’il y a du fourrage. On dirait que ces pauvres bêtes n’ont pas mangé depuis une semaine.
— Nous avons assez d’avoine sur les mules pour ce soir, Dom Mikhail. Pour nos chevaux et pour ces pauvres bêtes. J’ai mal au cœur de les regarder. Quand j’ai sorti cette jument de sa stalle, je jurerais qu’elle m’a dit « Merci », et qu’elle m’aurait sauté au cou avec reconnaissance si elle avait eu des bras au lieu de jambes.
Mikhail sourit à ses paroles, et sentit sa tension baisser. Daryll avait de l’imagination, même s’il s’efforçait de le cacher. C’était un homme bien. Mathias aussi. Il ne s’attendait pas à cette situation. Quand il était allé au Château Elhalyn, quatre ans plus tôt, l’édifice était délabré, mais les écuries étaient assez bien tenues, et si les draps des lits étaient usés, ils étaient au moins propres. Le malaise, qui s’était presque dissipé pendant qu’il travaillait, le reprit. Si la condition de l’écurie était une indication, l’état de la maison devait être épouvantable.
— Quand tu iras au village, vois si tu peux trouver un ou deux garçons pour s’occuper des chevaux. Je suppose qu’il n’y a pas de personnel, mais que je sois pendu si je comprends pourquoi ! Quand je suis allé au château il y a quatre ans, il n’y avait déjà pas beaucoup de serviteurs, et le vieux Duncan servait de coridom bien que ce ne soit pas sa fonction.
— Pourquoi ?
— Le coridom n’avait pas toute sa tête – il était un peu gâteux – mais Domna Elhalyn n’avait pas l’air de le remarquer. Ni de s’en soucier. Elle est… excentrique.
— Toquée, me paraîtrait plus juste si je peux me permettre. Elle n’avait pas remarqué !
Les joues rouges et les yeux étincelants, Daryll avait l’air outré.
— Et ce Duncan a l’air nigaud lui aussi – trop vieux ou simplet.
— Je sais. Pourtant il n’était pas comme ça il y a quatre ans. Il était assez capable et faisait bien son service.
— Tu vas remettre de l’ordre dans tout ça, vai Dom.
— Je me réjouis de ta confiance et je voudrais bien la partager.
Daryll gloussa.
— C’est la première fois que je nettoie une écurie avec un seigneur, alors je crois que si tu peux faire ça, tu pourras aussi mettre tout en ordre avant que le chat ait fini sa toilette.
Mikhail perçut les émotions du Garde, un sentiment de dévotion, de fidélité inconditionnelle qui deviendrait inébranlable avec le temps. Jusqu’à ce moment, il n’avait pas réalisé qu’il était observé, évalué et jugé par les deux Gardes. Il n’avait jamais pensé que ceux qui exécutaient ses ordres pouvaient avoir des opinions. Ou plutôt, il le savait, mais ne l’avait jamais senti. Mathias avait servi sous son père, quand Dom Gabriel commandait la Garde, et le comparait sans doute à son Vieux. Il se demanda s’il pouvait soutenir la comparaison, et s’il la soutiendrait jamais. À sa surprise, il découvrit qu’il désirait inspirer le même genre de fidélité que son père et son oncle.
Il baissa les yeux sur ses mains. Une cloque se formait sur un index, et il avait mal aux paumes après ce travail inusité. Il avait chaud, il transpirait, et il sentait presque aussi mauvais que l’écurie. Il avait les épaules endolories, et aussi les cuisses. S’il avait été libre, il se serait assis et n’aurait plus bougé pendant une heure.
Mais Mikhail savait qu’il ne pouvait pas tarder davantage à entrer dans la maison, quelle que fût sa répugnance. Il sortit de la pénombre de l’écurie, alla se laver les mains à un tuyau sortant du mur et qui aurait dû aller jusqu’à l’auge. La gouttière en bois qui le soutenait s’était brisée et gisait par terre, et, à en juger par les saletés qui l’entouraient, elle était cassée depuis des semaines. Il branla du chef.
Puis il remarqua que le bois entourant le tuyau à sa sortie du mur était moisi, et il se promit de le faire changer. Il projeta de l’eau sur son visage suant, s’essuya sur sa manche, en espérant qu’il y avait une salle de bains fonctionnelle dans la maison, puis il se dirigea vers la haie entourant la bâtisse.
Il y avait une ouverture qu’il franchit, et il se retrouva dans un jardin en friche. Il reconnut des fanes de carottes, des tiges d’oignons et des feuillages d’autres légumes poussant sous la terre. Il y avait un filet destiné à protéger les arbustes fruitiers, mais il était troué, et les oiseaux semblaient s’être régalés.
Mikhail branla de nouveau du chef, puis entendit une fois de plus un croassement. Levant les yeux, il vit un gros oiseau qui le regardait du haut d’un arbre près de la maison. Très belle bête, peut-être la même qu’il avait vue en venant, et le soleil couchant colorait en rouge les bords blancs de ses ailes. Il fixa sur Mikhail des yeux intelligents, passa d’une patte sur l’autre en une sorte de petite danse, puis ouvrit le bec. Il s’envola, et vint se poser sur la haie, déployant ses ailes qui brillèrent aux dernières lueurs du jour. Le soleil venait de disparaître sous l’horizon, et le ciel était d’une couleur sinistre, avec de gros nuages rouges et pourpres.
Il s’aperçut que le comportement de l’oiseau le fascinait. Mikhail le regarda, incapable d’en détacher les yeux, et eut l’impression que l’animal cherchait à lui dire quelque chose. Puis il émit un lent croassement, comme de gonds mal huilés qui grincent, et fit claquer son bec plusieurs fois. Mikhail frissonna, tant le mouvement et le son étaient étranges. Puis il déglutit, se secoua, et se hâta vers la porte.
Elle ouvrait dans la cuisine, occupée par un vieil homme qui sursauta au bruit des bottes de Mikhail sur le plancher. Il remuait le contenu d’une marmite posée sur des pierres dans la cheminée, et se retourna brusquement, une longue cuillère en bois dans sa main tremblante. Ses yeux se dilatèrent à la vue d’un étranger.
Mikhail ne s’attendait pas à entrer par la porte de service, bien que le potager ait pu lui mettre la puce à l’oreille. Il embrassa vivement la pièce du regard. Elle était haute de plafond, avec deux grandes cheminées pour rôtir, une longue table au milieu couverte pour l’heure d’une collection hétéroclite de casseroles et d’ustensiles de service. Il y avait une pompe dans un coin, au-dessus d’un évier en bois plein de vaisselle sale. À côté, un égouttoir avec des assiettes. Il poussa un soupir de soulagement. Au moins, la cuisine était plus propre que l’écurie.
— Qu’est-ce que tu fais là ? dit le vieillard, toisant Mikhail, avec ses vêtements de voyage trempés de sueur et ses bottes pleines de boue.
Il n’avait pas l’air aussi hébété que Duncan, et il avait le regard vif.
— Je suis Mikhail Hastur, et je veux voir Domna Priscilla Elhalyn.
— Alors tu es un imbécile, marmonna-t-il grossièrement en lui tournant le dos.
Mikhail hésita. Pour la première fois de sa vie, le nom d’Hastur n’avait pas provoqué la réaction attendue. Il savait que les serviteurs et servantes réglaient leurs manières sur celles de leurs maîtres et maîtresses. C’était très étrange. Le comportement de Duncan et du cuisinier était hostile, et s’il n’avait pas été si fatigué, il s’en serait offensé. C’était la première fois qu’il affrontait tant de grossièreté, et son malaise s’accrut.
Il était piqué, en partie parce que c’était la première fois que le nom d’Hastur ne suscitait pas un respect immédiat, et parfois une obséquiosité servile. Il se détendit un peu, et se promit de le raconter à Marguerida la prochaine fois qu’il lui parlerait ; elle trouverait sans doute ça comique. N’importe qui d’autre serait outré – sa mère ou son oncle Régis – mais sa bien-aimée verrait l’humour de la situation.
En général, le simple fait de penser à Marguerida l’emplissait de bonheur, mais pas cette fois, et il se demanda pourquoi. Quelque chose devait être arrivé au cours de ces dernières heures, réalisa-t-il. Il faudrait que ça attende. Plus tard, quand il se serait lavé et restauré, il la contacterait. Maintenant, il fallait trouver Priscilla.
— Tu as l’intention de dîner ici ? demanda le cuisinier d’une voix maussade.
— Oui, moi et mes deux Gardes.
— Sa Grandeur va être de bonne humeur ! caqueta le vieillard. Trois personnes à dîner ! J’espère que vous n’avez pas très faim, parce qu’il n’y en aura pas assez pour tant de monde.
La marmite sentait la poule et les oignons bouillis, et, bien que ce ne fût pas le plat préféré de Mikhail, il avait si faim que l’odeur lui fit grogner l’estomac.
— Nous venons de nettoyer l’écurie, alors nous ne manquons pas d’appétit.
— Nettoyer l’… un Hastur nettoyer nos stalles !
Le cuisinier se retourna et regarda Mikhail, stupéfait.
— Voilà une chose que j’aurais jamais pensé entendre ! Mais ça vous servira à rien, parce que la mestra me laissera pas ajouter une poule dans la marmite. Elle est très regardante, pour ça oui.
À l’évidence, le cuisinier ne parlait pas de Priscilla, mais de cette autre femme, Emelda, que Duncan avait mentionnée. Regardante ? Le Domaine Elhalyn était riche, et il n’y avait nul besoin d’économie. Ce devait être l’intendante. Au cours des ans, il en avait vu assez pour savoir que ces personnes pouvaient être très autoritaires et parfois se comporter en tyrans mesquins. Et, repensant à la distraction de Priscilla lors de sa précédente visite, il n’aurait pas été étonné de la trouver sous la coupe d’une servante envahissante. Mais il y avait ici des enfants, doués, supposait-il, d’appétits normaux, et il frissonna à l’idée qu’ils n’aient pas assez à manger.
Puis Mikhail haussa les épaules. Il n’apprendrait rien en restant là. Il s’étonna de sa résistance soudaine à bouger, à quitter la cuisine. Il avait l’esprit embrumé, comme s’il avait bu beaucoup de vin. Ce devait être le résultat de tout ce travail à l’écurie.
Il sortit lentement de la cuisine et entra dans un couloir sombre sentant la poussière et le moisi. Au bout de quinze pas, il débouchait dans une salle à manger, triste petite pièce avec une collection de chaises dépareillées autour d’une longue table qui n’avait pas été cirée depuis des années. Il y avait une épaisse couche de poussière à un bout, mais l’autre affichait des signes d’utilisation, car la surface en était éraillée et pleine de graisse. Le bois était fendu par places, et le beau placage craquelé. La pièce était déprimante, et toute idée d’intendante compétente, bien qu’autoritaire, s’évanouit.
Il faisait froid et, jetant un coup d’œil dans l’âtre, il y vit un petit brasero n’émettant pas assez de chaleur pour réchauffer une souris, et qui, de plus, fumait. Curieux, il s’approcha et se pencha pour regarder dans le conduit de cheminée. Son regard rencontra un noir total, et il réalisa qu’il était complètement obstrué par les cendres. Une réparation de plus à faire.
Revenant au centre de la pièce, il considéra les tapisseries déchirées suspendues aux murs, avec un sentiment d’impuissance et de désespoir. Contrairement à son père et à son frère Gabe, il n’avait jamais eu à gérer une maison. Le Château Comyn, où il avait passé sa jeunesse, était efficacement dirigé par une armée de serviteurs, de même qu’Armida et le Château Ardais. Il savait qu’il fallait transporter les vivres des fermes aux cuisines, couper et sécher le bois pour le feu, acheter le linge au marché de Thendara, mais il n’avait aucune idée sur la façon d’entretenir une cheminée ! Ou sur la façon de débarrasser les murs des moisissures. La tâche lui sembla énorme et, dans son état présent de fatigue et de fringale, au-dessus de ses forces. Puis il se dit qu’en sa qualité de Régent d’Elhalyn, il pouvait ordonner l’exécution des travaux. Mais, s’il fallait en juger sur le vieux Duncan ou le cuisinier anonyme, il n’était pas certain que ses ordres seraient entendus, et encore moins exécutés.
Il se sentait en proie à une étrange léthargie, et il lui fallut faire appel à toute sa volonté pour quitter la salle à manger glaciale et continuer sa visite. Entrant dans un salon, il vit un métier à broder près de la cheminée, suggérant que Priscilla ou l’une de ses filles y travaillaient parfois. C’était une chose banale, mais la plus rassurante depuis son arrivée.
Il s’aventura dans le hall, autrefois imposant et majestueux, et aujourd’hui minable et délabré. Les grandes dalles étaient fendues et soulevées par places, de sorte que le sol était très inégal. Une longue fenêtre près de la porte d’entrée était bouchée par des planches mal clouées entre lesquelles passaient les courants d’air. Une légère odeur de soufre émanant de la source chaude lui fit froncer le nez.
Un silence total régnait dans la maison. Il regarda vers l’escalier, prêtant l’oreille à un bruit éventuel à l’étage supérieur. Il y avait cinq enfants dans cette maison, et il aurait dû les entendre. Dans son enfance, Armida résonnait de bruits de course, de voix juvéniles, et de portes qui claquent. Javanne se plaignait souvent de ne pas avoir un moment de tranquillité, disant que si elle avait su que les enfants étaient si bruyants elle n’en aurait pas eu autant. Pour l’heure, Mikhail aurait été content d’entendre des galopades de gamins, comme celles qui ébranlaient les escaliers d’Armida quand ses frères et lui s’y poursuivaient. Il y avait quelque chose d’angoissant dans ce silence, mais qu’il n’arrivait pas à définir.
Un bruissement d’étoffe lui fit tourner les yeux vers les ombres proches de l’escalier, d’où émergea une femme quelques instants plus tard. Elle était maigre, presque squelettique, avec des cheveux noirs bouclant autour de son visage émacié. Son teint avait quelque chose d’étrange – une teinte verdâtre qui le plongea dans la perplexité – mais dans la pénombre du lieu, c’était peut-être une illusion d’optique. Pourtant, la couleur de sa robe n’avait rien d’illusoire. Elle était du rouge particulier réservé aux robes cérémonielles des Gardiennes.
Ils se dévisagèrent un moment, puis la femme lui dit d’un ton hautain :
— Que fais-tu là ?
— Je suis Mikhail Hastur et je viens m’occuper des enfants. Où est Domna Priscilla ?
— T’occuper des enfants ! Ils n’ont pas besoin qu’on s’occupe d’eux.
Elle fixa sur lui ses yeux gris, et il éprouva une telle sensation de vertige qu’il dut se détourner.
— Qui es-tu ? gronda-t-il, se ressaisissant enfin.
Comment cette femelle osait-elle le regarder dans les yeux ?
Qu’est-ce qui se passait ?
— Je suis Emelda. Et tu as fait tout ce chemin pour rien. Tu dois partir immédiatement.
Avant qu’il ait eu le temps de répondre, Priscilla sortit du couloir derrière l’escalier. Elle avait le regard vide, et ses cheveux couleur abricot grisonnaient. Il se rappelait une femme plutôt potelée, mais maintenant, elle était presque décharnée.
— J’ai entendu des voix.
Elle vit Mikhail, et s’arrêta net, le regardant comme une apparition sortie du néant.
— Oh, c’est toi. Tu es venu avec ton ami Dyan, n’est-ce pas ? Enfin, pas ici – au Château Elhalyn. Mais je me souviens de toi, dit-elle, l’air très contente de cet exploit. Que viens-tu faire ici ?
— Régis Hastur m’a nommé Régent d’Elhalyn, Domna, ainsi qu’il t’en a informée, je crois.
— Oui, je crois avoir reçu un message à ce sujet. Mais cela n’explique pas ta présence ici. Je ne t’ai pas invité.
Priscilla semblait perplexe, et un peu soucieuse comme au souvenir de quelque chose de déplaisant. Elle tourna un regard embarrassé vers Emelda.
Mikhail avait l’impression d’avoir l’esprit plein de sales insectes qui bourdonnaient follement.
— En tant que Régent d’Elhalyn, je dois veiller au bien-être de tes enfants et tester les garçons, parvint-il à articuler. Je viens d’arriver avec deux Gardes et…
— Tu as amené une escorte avec toi ! s’écria Emelda, l’air furieux. Nous ne pouvons pas l’accepter.
Mikhail perdit patience.
— Tais-toi, qui que tu sois ! Cela ne te regarde pas ! Ce n’est pas une maudite intendante qui va me dire ce que j’ai à faire ! Et pour qui se prend-elle, à porter une robe de Gardienne ?
— Je suis Emelda Aldaran, dit la brune en se redressant. Et cela me regarde beaucoup. Sans mes conseils…
— Domna Elhalyn, tonna Mikhail, surpris lui-même du son de sa voix, que se passe-t-il ici ?
Priscilla les regarda tour à tour, comme piégée entre deux bêtes féroces. Ses yeux pâles luisaient dans la pénombre du hall, et ses mains se mirent à trembler.
— Je ne sais pas ce que tu veux dire, répondit-elle d’une voix défaillante.
— Je veux dire que tu vis dans cette maison délabrée sans une fenêtre qui ferme, que tes serviteurs sont grossiers et ton écurie une honte !
— Si tu n’es pas content, on ne te retient pas, dit Emelda avec un sourire suffisant. On ne t’a pas demandé de venir et on n’a pas besoin de toi.
De nouveau, Mikhail eut l’impression que toute l’énergie de son esprit était aspirée, et il tourna un regard soupçonneux sur l’étrange femelle. Elle avait le laran, sans aucun doute, et elle prétendait appartenir à la lignée des Aldaran – probablement fille nedesta, bien qu’elle lui semblât trop âgée pour être fille de Robert ou Herm Aldaran. Peu important ; d’ailleurs, elle mentait peut-être. Ce qui importait, décida-t-il, s’efforçant de dissiper la brume qui emplissait sa tête, c’est qu’elle tenait Priscilla sous son emprise, et qu’elle dirigeait la maison à sa guise. Il eut envie de l’étrangler, envie immédiatement suivie d’une impression de faiblesse et d’étourdissement.
Par tous les enfers de Zandru, qui était-elle ? Il n’avait jamais rencontré personne de pareil. Grinçant des dents, il se concentra sur Priscilla, barricadant de toutes les forces son esprit à cette femme. Sa faiblesse le quitta immédiatement, et s’il n’avait pas été un télépathe entraîné, il aurait cru avoir imaginé cette sensation.
— Ma place est ici, jusqu’à ce qu’un des garçons soit déclaré digne de monter sur le trône – ce qui peut prendre un an ou plus. Et je n’ai pas l’intention de vivre dans une maison en ruines cet hiver. Comment pouvez-vous laisser vivre des enfants dans ce taudis ?
Il en était indigné pour les enfants, qu’il se rappelait de sa visite précédente.
— Ça n’a pas l’air de les gêner, dit Priscilla, comme si cela répondait à tout.
— Domna, murmura Emelda, il ne faut pas lui permettre d’interférer quand le Gardien t’appelle. Il faut le renvoyer immédiatement.
— Emelda a raison. J’ai changé d’avis. Je n’aurais jamais dû laisser Régis Hastur me persuader…
Elle parlait maintenant avec plus d’assurance, mais d’une voix mécanique et détimbrée, comme un automate.
— La décision ne t’appartient plus, Domna. Le Conseil Comyn a approuvé ma nomination de Régent, et je suis ici pour y rester.
Ce n’était pas tout à fait vrai, vu que le Conseil restait empêtré dans ses propres problèmes, et que, pour l’essentiel, la réunion avait consisté en concours de hurlements entre Dom Gabriel et Régis, ou Lew et Dom Gabriel. Mais le Conseil n’avait pas désapprouvé non plus. Le Domaine d’Elhalyn était le cadet de leurs soucis, et l’attribution d’un siège du Conseil à Mikhail avait été votée malgré les violentes objections de son propre père.
À ce moment, Mikhail aurait volontiers cédé sa place à l’un ou l’autre de ses frères, et sans regrets. Il voyait d’ici Gabe affronter Emelda ; l’image lui parut comique et, d’une certaine façon, encourageante. Connaissant le tempérament explosif de Gabe, il aurait déjà jeté cette femme dehors. Curieux : c’était la première fois de sa vie qu’il pensait à son frère aîné avec plaisir.
— Comment oses-tu me parler ainsi ! dit Emelda, hérissée.
— Je te parlerai comme il me plaît. Maintenant, sors d’ici ; j’ai à parler seul à seule avec Domna Priscilla.
— Vraiment, Mikhail, intervint Priscilla, tu agis bien inconsidérément. Le fait d’être Régent ne te donne pas le droit de tout commander ici. J’ai toujours Emelda à mon côté – je le dois, car elle est mon guide.
Cette faible résistance de Priscilla était inattendue. Il réfléchit un instant. À sa connaissance, sa charge de Régent lui donnait des pouvoirs illimités, et certainement en ce qui concernait les enfants. Il en était moins sûr en ce qui concernait Priscilla elle-même, mais il décida de bluffer pour le moment. Régis n’aurait qu’à se débrouiller plus tard s’il outrepassait ses pouvoirs. Il remplirait sa mission, et bien, et ce n’était pas un tyran domestique qui l’en empêcherait. S’il le fallait, il foncerait comme un taureau à l’instar de son frère Gabe.
— Je prends le commandement de la maisonnée, Domna. Je vais veiller aux réparations de la maison avant l’hiver, et au bien-être des enfants. Toi et ta compagne, vous pouvez faire ce que vous voulez, naturellement. Vos activités ne m’intéressent pas.
— Mais pourquoi ? Nous ne sommes plus ici pour très longtemps.
Mikhail regarda Priscilla, étonné.
— Ah ? Et où avez-vous l’intention d’aller ? Vous retournez au Château Elhalyn, peut-être ?
— Oh non. Mais nous partirons bientôt.
Elle avait maintenant le regard furtif, et l’air à la fois conspirateur et satisfait. Si elle avait été chatte, elle aurait eu de la crème sur les moustaches, se dit-il.
— Tu n’as pas besoin de te soucier des enfants. Le Gardien s’en occupera bientôt.
— Le Gardien ?… Quel gardien, Domna ?
Il était certain que cela avait quelque chose à voir avec la séance de spiritisme de sa première visite, quatre ans plus tôt, où Derik Elhalyn, ou quelque chose prétendant être son fantôme, avait parlé d’un « Gardien ». Cela l’avait fait frissonner à l’époque, et le refit frissonner maintenant.
— Qu’est devenue Ysaba ? Elle est ici ?
Cette femme ne lui avait pas plu, mais elle lui avait paru assez inoffensive.
Il y eut un silence dans le hall plein de courants d’air, rompu par un bruit de bettes venant du salon. Mikhail vit Priscilla regarder sa compagne, et quelque chose passa entre elles, quelque chose de sombre et terrible.
— Elle est partie, dit doucement Priscilla comme Daryll paraissait sur le seuil.
— Nous avons rentré et nourri les chevaux, Dom Mikhail, dit le jeune Garde.
Il s’inclina devant les deux femmes, et haussa les sourcils à la vue de la robe d’Emelda. Une leronis ? Ici ?
Mikhail reçut sa pensée, et sans doute qu’Emelda l’entendit aussi, car elle se raidit brusquement.
— Très bien. Allez chercher dans nos paquetages les provisions qui nous restent, car le cuisinier a l’air de penser qu’il n’aura pas de quoi nourrir tout le monde.
Il se félicita de la présence du Garde, de sa vigilance et de son bon sens. Au bout de dix minutes en compagnie des deux femmes, il avait l’esprit meurtri.
— Tu ne peux pas nous demander de nourrir tes hommes ! glapit Emelda d’une voix stridente. C’est intolérable, et je ne le tolérerai pas !
— Silence ! Encore un mot, et je t’enfonce un bâillon dans la bouche. Tu n’es pas la maîtresse ici !
— Mais elle parle en mon nom, dit Priscilla, l’air confus et désemparé.
— Alors, tu es plus bête que je ne le pensais, dit Mikhail, renonçant à tout semblant de politesse.
Emelda tourna les talons et sortit au pas cadencé, sa robe rouge voletant autour de ses chevilles. Priscilla la suivit, l’appelant anxieusement et la suppliant de lui pardonner.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Daryll avec curiosité, les yeux luisant d’intérêt.
— Aucune idée. Je voudrais bien le savoir.
— Qui c’est, celle en robe rouge ?
— Elle prétend s’appeler Emelda Aldaran, et pour ce que j’en sais, ce n’est pas impossible. Ce qui est sûr, c’est qu’elle tient Domna Elhalyn sous sa coupe, et je me demande si je pourrai me débarrasser d’elle.
Il soupira, ajoutant :
— Et je suis pratiquement certain qu’elle n’a aucun droit de porter cette robe.
Avant d’avoir le temps de continuer, Mikhail entendit un léger craquement en haut de l’escalier. Il leva la tête et vit plusieurs paires d’yeux qui l’observaient d’en haut. Une fois habitué à la pénombre, il distingua les visages des deux filles, Miralys et Valenta, et de leurs frères, Vincent et Emun. Ils avaient tous l’air inquiet – inquiet et affamé – et sa fureur le reprit. Il avait vu des enfants de paysans mieux nourris !
Valenta descendit silencieusement l’escalier, jetant de temps en temps un coup d’œil par-dessus la rampe, comme si elle craignait d’être surprise. Les garçons et Miralys la suivirent sans bruit. Dès que la plus jeune prit pied dans le hall, elle se rua vers Mikhail. Puis elle mit sa main dans la sienne et leva sur lui des yeux suppliants en une imploration muette qui lui fit monter les larmes aux yeux. Enfin, elle s’agenouilla, et s’appuyant contre sa jambe avec confiance, elle murmura :
— Je savais que tu reviendrais.